Art(s) et littérature >> "La table" (Pomme... en compote)
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Mercredi 10 Juillet 2013 - 12:58:21
La joueuse de piano

« Au milieu de la pièce trônait un grand piano de maître.

Elle, qui venait tous les soirs jouer là, fit son entrée dans la salle. Cela faisait quelques mois qu’elle avait découvert cet instrument, abandonné là dans cette maison au cœur de la forêt, et elle n’avait pas résisté à y entrer, pour s’abandonner aux délices que seuls connaissent les musiciens et y oublier ses misères.

Le plancher la salua en grinçant allègrement à chaque pas jusqu’au piano, et se creusa confortablement lorsqu’elle s’assit sur le petit tabouret de bois usé, qui lui avait encore quelques restes de vernis.
Et elle se mit à jouer.

Ses doigts faisaient l’Eau : la pluie d’abord, doucement, comme une berceuse à la nuit : les gouttes du piano tombent, qui effacent les peines et rafraîchissent les cœurs… Chaque note, ronde et fraîche, faisait une goutte, qui tombait sur les feuilles du hêtre, sur les brins d’herbes, rebondissait doucement, se couchait amoureusement dans la terre pour se fondre dans l’humus et abreuver la vie.
Puis la mélodie se mua en une rivière tranquille charriant feuilles, aiguilles et caressant les branches des arbres trempant dans ses eaux. Une rivière ombrageuse dans laquelle on aime se baigner l’été, à l’abri des regards et de toute présence inopportune, une rivière pour les jeunes amants.

Enfin, à mesure que la jeune femme se plongeait dans le piano pour le devenir, la rivière déborda, emportant forêt, arbre, terre, et se faisant Océan impérieux, magnifique, sujet d’amours et de poésies sans pareilles, et les roulements des notes entraînaient les vagues grises toujours, toujours…
»

Vendredi 12 Juillet 2013 - 20:31:48
L’Océan

L’Océan est un miroir duquel jaillissent les Étoiles. Couché sur le piano, tu reposes le stylo et contemple la feuille, mots rouges sur fond blanc à l’odeur de Ton être. Tu en es pleinement conscient cette fois. Autour de toi, les vagues grises, puissantes et libres t’entraînes là où personne ne peut te suivre. La roche sur laquelle tu vivais s’est recouverte de liquide, la roche-mère a donné la Vie.

Couché sous les Étoiles, tu observes la joueuse à tes côtés. Les cheveux longs et sombres, les yeux gris, le visage mince.
Elle sera ta compagne de voyage.

« Qui es-tu ? »
« Serafina. »

Tes doigts tremblent. Lâchent la feuille, non, non, il ne faut pas qu’elle s’en aille dans les vagues, rattrape-la ! Tu empoignes le papier au vol, le repose sur l’instrument.
Tu la regardes. Tu en as peur ? Pourtant, elle n’a fait que te répondre, par papier interposé, d’une écriture fort belle par ailleurs… à l’encre rouge aussi. Tu n’as plus le monopole de ta feuille blanche désormais, quelqu’un d’autre peut venir y apposer son empreinte.
Rouge sang.

Tu as instantanément oublié la boîte et ce qui la composait. Elle est partie.
Tu t’es retrouvé sur l’Océan avec une fille qui te répond sur ta propre feuille, et ta langue retrouve une nouvelle fois la fente rougie de tes lèvres.
Respire.
Détends-toi.
Imagine une bulle de paix autour de toi.
Tu sais que la parole est inutile. Seule l’écriture compte car l’écriture dit la personne.

« Comment es-tu arrivée là ? »
« Je suis là parce que tu es là. Et tu es là parce que j’y suis. »
« Je ne comprends pas… »
« Tu finiras bien par comprendre. En attendant… »

… Accepte la situation.
Nu tu t’es découvert, nue tu la découvres : mince à l’image de son visage, avec une formidable force émanant de tout son corps ; la confiance en soi-même.
Une force qui te fait penser - et non écrire, tu supposes qu’elle le verrait et tu ne veux pas qu’elle le sache - que le corps et l’âme ne sont qu’une seule et même chose : cette aura est si perceptible… Une face physique et une face invisible pour le même principe.

Serafina : ardente, étymologiquement.

Mais quelque chose te trotte toujours dans la tête : pourquoi, alors que cette femme n’était qu’un personnage venu de Ton être, te retrouves-tu avec elle ?

Une Forêt d’Étoiles… Si brillantes, si lointaines… Tu t’endors.

Vendredi 12 Juillet 2013 - 20:36:20
Comment vaincre le tigre

« Comment vaincre le tigre : trouver un haut mur.

Nous sommes trois et nous courons, encore et encore, dans la Forêt en espérant lui échapper, l’atmosphère est brumeuse, oppressante, le chemin va droit devant. On l’entendrait presque, lui, ses pattes, son souffle, ses grognements… le tigre.
Nous arrivons dans une cité d’aspect médiéval, avec ses rues étroites, ses murs de pierre sèche. Un homme de haute taille, bâti comme un colosse, nous suit.

Un de nous voit un grand mur terminé par une tour décorative plongeant sur une cour pierreuse dans laquelle des gens mangent et boivent ; nous sautons et grimpons et le tigre arrive alors que nous sommes déjà tout au bout, à le guetter : nous savons que nous ne pouvons pas lui échapper.
Nous en haut.
Lui nous regardant depuis le sol, les yeux flamboyants. Il rugit. Bondit. Nous nous cachons derrière, voyons ses griffes et ses crocs mais il ne peut nous atteindre.
La manœuvre recommence, une fois et une fois encore. Quatre fois, cinq fois, ou deux ?
A la fin, le même qui avait indiqué le mur comme échappatoire saute en bas, armé d’un bâton, pour affronter la Bête. Le tigre lui saute dessus, mais l’homme s’est déjà élancé en l’air ; après une pirouette il retombe sur l’animal et l’arme se plante dans son corps. C’est fini.

Nous partons et discutons de l’exploit de notre ami en redescendant les rues.
- Ah, ces Tigres amochés, au pelage sans nuances, c’est bien triste.
- Oui, et nous devenons comme eux au final…
»
***
Quel tigre ? Ah, ce n’était qu’un rêve… que tu vois néanmoins écrit à l’encre rouge sur une énième feuille blanche. Serafina ?
Qui est-elle ?
Qui es-tu ?
Qui est le tigre ?

[Ce rêve sur le tigre provient réellement d'un rêve que j'ai fait et que j'ai réécrit pour ne pas l'oublier !]


Vendredi 12 Juillet 2013 - 20:40:21
Alors…

« Qui es-tu ? »
« Je suis Serafina. »

… L’Océan infini… Si tu y plongeais, que se passerait-il ? Des vagues, des vagues grises, éternelles, majestueuses, écrasantes tout autour… Elles t’avaleraient avec plaisir. Mais ensuite ce serait fini. Enfin, tu serais juste en sommeil, en paix.

« Tu veux essayer ? »

Et elle connaît tes pensées, en plus. Tu doutes. Tu as peur, tu la crains : cette inconnue, surgie semble-t-il d’un simple texte - non : un texte écrit pour le fait d’écrire n’a pas ce pouvoir.
Pour le fait d’écrire : à comprendre comme un texte sans vie, un texte creux, écrit sans âme, sans vie. Un texte où la forme est plus importante que le fond, en somme.

« Non. »
« Tu as peur de la mort ? »

Tu vois ces mots s’aligner, et tout cela, mêlé à cette question si puissante, te trouble : que répondre ? Tu voudrais presque être revenu dans ta boîte de béton, là où, au moins, aucune personne ne te secouait. Tu y étais tranquille. En sécurité.

« Je... »

Elle s’empare de la pile de feuilles, la parcourt des yeux. Tu ne vois que cela mais tu sens, tu sais, qu’elle s’imprègne des lettres.
Encore une fois, les mots apparaissent. Ce moment, tu le redoutes tout en le désirant, comme une décharge électrique. Et quelles lettres ! Quelle calligraphie !

« Tu penses vraiment que la mort n’est pas le contraire de la vie ? »
« Oui. »
« Vraiment ? »
« … Oui ! »

Une grande douleur à l’arrière du crâne et une sensation glacée sur la gorge plus tard, tu oses ouvrir les yeux. Serafina, la pianiste de génie qui a donné naissance à l’Océan, t’a plaqué sur le dos de l’instrument et se retrouve sur toi, à deux doigts de t’ouvrir la gorge avec un grand couteau sorti de nulle part. Tu trembles, tu agrippes son bras, tu finis par t’immobiliser. Mais tu peux lire ta terreur dans les yeux de la jeune femme, qui sourit. De sa main gauche elle te montre la page, sur laquelle est écrit :

« Tu penses toujours que la mort n’est pas le contraire de la vie ? »

Elle te tend un stylo, te laisse te relever, s’éloigne un peu. Tu réponds :

« Je… oui. »
« Alors, pourquoi tous tes gestes, pourquoi Ton regard hurlaient-ils Ton désir de vivre ? »
« … »
« Tu n’as rien à répondre ? »
« Pour le moment, non. »

Son regard te cloue. Il a de la force. Et le mot force peine à dire ce qui ressort des Iris de la jeune femme.

Puis tu vois ces mots se former, lentement, d’un rouge beaucoup plus sombre, à la surface. En fait de mots, il s’agit d’un poème.

Mercredi 17 Juillet 2013 - 14:13:08
La Mort salée est transcendante

« Le vent m’embrasse
Le ciel est noir sur l’Océan
La Tempête arrive
»
Tes pieds sont léchés par les vagues, sur lequel l’instrument-radeau danse de plus en plus fort : des collines liquides naissent et meurent partout à mesure qu’un mur noir se forme au-dessus de vos têtes. Toi - et Serafina.
Celle-ci, d’ailleurs, accompagne la tempête naissante de ses doigts et de ses accords profonds, amoureux comme l’Eau qui vous porte, en une cascade de perles aiguës et graves desquelles naissent des murs noirs de plus en plus hauts, rugissants avec les gouttes qui commencent à jouer, elles aussi, leur symphonie sur la Mer grise et sur vos corps.

Et, soutenant les accords de la jeune fille comme des chœurs, des phrases, des mots naissent avec les notes, de plus en plus sombres sous la lumière déclinante qui décrivent votre paysage comme le Temps, immuable, éternel mais relatif tout à la fois, dans son ennui Spectral comme dans l’Imagination.
L’Imagination : elle qui peut transformer même le Temps.
Serafina se relève de ses touches et te rejoint, nue, belle et terrible dans son regard exalté par le déchaînement des éléments nés de ses doigts et de sa musique ; et celle-ci continue ! Inlassablement, éternellement, le piano continue de résonner.

Frappent les gouttes, de plus en plus fort… Tu te rappelles de tes premiers dialogues écrits avec la jeune femme, et ceci t’avait frappé :

« Je suis là parce que tu es là. Et tu es là parce que j’y suis »

T’emparant d’un stylo et d’une feuille trempée, tu écris :

« Tu le penses toujours ? »
« Bien sûr. »
« C’est parce que nous sommes un ? »
Elle te regarde alors, sourit, et, approchant ses lèvres des tiennes, t’embrasse voluptueusement.

« Nous sommes un, tu as pris Conscience de mon Existence et maintenant, unis-toi à moi… pour être entier. »

Le premier éclair charcute le ciel et les eaux dans un bruit d’écartèlement alors que tu lui insuffle Ton Être à-travers ses lèvres, mais ce n’est pas assez, et tu te fonds en elle pour qu’enfin, vous soyez réunis.
Tu es entré en elle pour ne plus en ressortir…
***
Tu entends une voix, Serafina, Serafina ! - Oui ?, réponds-tu, et tu ouvres les yeux. La tempête est finie. Tes seins, Ton ventre, tes lèvres sont encore empreintes des baisers de Ton autre face, comme tu l’appelais. Mais tu vois son corps glisser, glisser, et s’effacer dans l’Océan.

Il a répondu à l’appel du repos, telle la feuille d’Automne qui s’endort enfin - ainsi :

« LA FEUILLE : Toi qui ne dors jamais, toi qui chante toujours, voudras-tu m’accepter ?
LA RIVIÈRE : Toi qui te balances à la branche, toi qui apportes le Message du vent, pourquoi veux-tu que je t’accueille ?
LA FEUILLE : Il est tard et mon arbre se prépare au froid, vois comme je suis rouge !
LA RIVIÈRE : Il est tard et je sens le froid, mes galets sont d’argent, vois comme je suis grise !
LA FEUILLE : Toi qui es grise et belle, veux-tu un peu de couleur sur ta parure ?
LA RIVIÈRE : Le gris-argent, je l’aime, il me rend mon manteau d’automne et d’hiver, le manteau du repos avant la fonte des neiges.
LA FEUILLE : Le rouge se changera bientôt en brun d’humus, et je tomberai pour m’endormir.
LA RIVIÈRE : C’est le vent qui te le murmure, il te donne envie d’aller Voyager une dernière fois. Je t’accepterai, feuille, viens donc sur la vague et sur l’écume ! Tu pourras trouver un coin en compagnie de tes semblables pour te reposer à la fin.

Le Vent du Nord soufflait et annonçait la neige proche, il enveloppa délicatement la feuille et elle se laissa emporter, pour tournoyer, danser dans la main aérienne du Vent, chantant avec lui sa joie, ses souvenirs de printemps et de fraîcheur des premières pluies d’avril, ses mémoires d’été et de sombres orages, ses amours d’automne de feu où la passion lui avait donné le rouge aux joues.

En contrebas, dans la gorge au-dessus de laquelle la maison de chêne de la feuille se balançait, l’eau disait des paroles d’oubli sauveur, et la feuille en touchant l’écume, ferma ses paupières pour se laisser aller, doucement, vers une terre merveilleuse de repos.
»

C’est mieux comme ça. Lui, trop rationnel, t’aurait freinée dans ta quête de liberté imaginative. Mais tu lui seras éternellement reconnaissante t’avoir pris conscience de ton existence et de t’avoir, en quelque sorte, donné vie par son texte…

Et puis, n’êtes-vous pas un ?

Lundi 22 Juillet 2013 - 20:35:48
Dans le Ventre

« Le plus beau dans la Forêt, bien évidemment, on le voit à l’Automne : l’Automne, la saison des feuilles qui frôlent le sol avec une tendresse infinie, de la pluie qui frappe et qui cache les larmes, du vent qui emporte brindilles, amours, pensées en les volant par à-coups vicieux et froids. »

La feuille d’Arbre du corps de Ton amant, de Ton autre face, a fait naître deux choses : la terre forestière sur laquelle tu te tiens assise, toi Serafina l’Ardente, et ta descendance.
Tu avais fait naître l’Océan du Temps par Ton piano, et tu t’es échouée à la Fin des Eaux. Tu as découvert les frontières d’un monde dans lequel tu pourras rester cachée.
A l’abri. Protégée par ces géants, ces sages que l’on nomme Arbres.
La Forêt.

Sur l’Océan le Temps filait, ici, il est immobile : il est, tout simplement, alors que parmi les vagues il existait.
Non, le Temps n’est pas mort. Juste apaisé. Et toi avec. Ton feu intérieur s’est endormi, la lumière dans Ton corps ne rayonne plus que doucement autour de toi et dans tes yeux.

C’est un monde clos, abrité, ombrageux et confortable sur lequel tu promènes tes pieds nus qui s’enfoncent doucement dans l’humus, la mousse et les feuilles humides, au milieu des troncs immortels des Chênes, des Hêtres, des Ifs, des Érables…
Ils t’ont acceptée dès Ton arrivée, fugitive, sensitive et rayonnante d’énergie comme eux. Ils savent que tu les respectes et que tu les aimes.
C’est comme… c’est comme être dans le ventre d’une mère, de Terre-Mère.

A la façon des Amérindiens, tu as construit une hutte à sudation ; une de ces huttes circulaires, voûtées et basses, recouvertes de peaux d’animaux que tu as chassé ou piégé, et dont le sol, au milieu, est pourvu d’un trou dans lequel tu verses des pierres brûlantes pour les asperger d’eau qui emplit la hutte de vapeur, et de l’odeur de la Terre sous les Étoiles.
L’odeur de Terre-Mère, piquante, rafraîchissante et envoûtante, qui t’enveloppe dans le Ventre originel.

C’est l’heure de ta renaissance… Et elle commence par le rêve - non, par la vision.

Lundi 05 Août 2013 - 20:28:28
Fantômes

« Deux enfants courent jusqu’au bord de la falaise ; une fille et un garçon. Une femme petite et ridée est déjà agenouillée, immémoriale, immortelle et sans âge véritable. A ses côtés brûle un feu.
Elle tient une statuette de femme souffrante et façonne des petits êtres qui la réparent, êtres métalliques tirés de la Terre.

Les deux enfants apportent eux aussi des métaux : des vis, des écrous.
- Vite, vite, Mère Sacrée ! disent-ils.
Elle répare leur mère la Sorcière. La Mère Sacrée qui seule connaît tous les corps et tous les esprits, puisque toutes les créatures vivantes sont ses enfants et qu’elle vit à travers chacun d’eux, sauf ceux appelés « Hommes », qui se sont crus au-dessus de tout sans réaliser qu’ils se détruisaient eux-mêmes alors qu’ils tentaient vainement d’assujettir une force incompréhensible pour leur logique limitée.
La Mère Sacrée, qui sait que le corps n’est que la partie visible de l’âme, son reflet en quelque sorte. Et que laisser son corps à la Terre n’est que nature puisqu’il permet de nourrir une foule de vies… De la Mort naît la Vie, dans une grande régénération.

Froid, vent, fin d’Automne. Au bas de la falaise rugit l’Océan.
»
***
Dans une hutte comme celle-ci, dans laquelle on se purifie, il faut être nu(e) ; être soi-même, sans cette armure formée d’habits. Simplement soi-même.
Ton corps ruisselle de sueur comme tu te libères de tes peurs, de tes doutes, tu es apaisée. Tu respires profondément la vapeur odorante qui enveloppe tous tes sens.

Il n’y a plus d’eau, les pierres sont froides à présent. Tu peux sortir du Ventre et commencer ta nouvelle vie.

Les Étoiles brillent, les Arbres dansent dans le vent. Tu t’allonges et contemples le ciel, baignée de l’énergie de Terre-Mère. Si sereine…

Samedi 31 Août 2013 - 12:31:40
Le langage des Arbres - Hors du Temps

C’est quand un souffle d’air froid venu de la Mer te transperce que tu te réveilles, en sursaut. Tu te redresses et aussitôt regardes autour de toi pour tenter de déceler une présence, un intrus.
Tu n’es pas encore cachée.
Pas tout-à-fait.
Le Temps peut encore trouver un moyen de te harceler, et l’Océan est tout proche… Tu le vois et l’entends murmurer « Serafina… Serafina… » ; il se rappelle comment tu l’as ressenti à travers ta musique ; comment tu as enveloppé ta hutte d’un voile de notes mélancoliques et océanes pour passer sans encombres de l’Eau à la Terre.

Tu te lèves et, avec un dernier regard pour les vagues si grises et si belles, tu t’enfonces parmi les grands Arbres.

Bientôt la voix de l’Océan disparaît pour laisser place à un Silence frais. Dans la pénombre verte tu découvres les chemins de la Forêt. Dans la pénombre verte tu sens sous tes pieds la terre fraîche, sous tes doigts la mousse humide et l’écorce odorante.
L’odeur.
Puissante, entêtante. Magique. Elle te pousse à t’ouvrir ; tu t’assieds contre un grand Hêtre et de tes pieds jusqu’au sommet de Ton crâne tu te détends, tu ouvres toutes les portes pour laisser passer, pour lâcher prise, pour pouvoir respirer enfin.

Progressivement, ta respiration devient de plus en plus calme, de plus en plus longue, de plus en plus facile… Ton corps est lourd. Il s’enfoncerait doucement dans l’humus que cela ne t’étonnerait même pas.

Hors du Temps.

De plus en plus calme… Tu as fermé les yeux depuis longtemps afin de mieux t’abandonner. L’air est si agréable sous les grands Arbres… Il n’y a pas cette lourdeur, cette agitation, ce Stress propres aux constructions humaines - c’est même l’exact contraire.
Tu n’as pas envie de bouger d’un millimètre. Cela ne t’apporterait rien, et tu es si bien… Si paisible… Tu ressens si bien le sol, le tronc derrière Ton dos, les caresses du vent dans tes cheveux, les chants des oiseaux au-dessus de toi.
Laisse-toi prendre par le Hêtre, la Mère de la Forêt, qui est derrière toi.
Sois en paix, entends-tu.
***
Plus tard, bien plus tard, après avoir parcouru en corps comme en esprit les sentiers mousseux, après t’être imprégnée des murmures de l’eau courante et du Silence plus parlant que n’importe lequel des langages, tu as saisi une feuille et écrit ce petit poème rouge :
« Marcher éveillée parmi la Cathédrale de la Forêt
Et sentir mes amours aux troncs magiques
Qui m’accueillent et me protègent
Du passant indésirable
Respirer l’odeur millénaire, fraîche
De ma compagne la Forêt, dans laquelle je me sens
Tel que je suis vraiment… »